Une journée dans le service chimio

Beaucoup de gens m’ont demandé comment se déroulent les journées dans le service d’oncologie de l’hôpital pédiatrique. Alors j’ai pensé que je pourrais raconter une journée typique passée là-bas. 

Bon, je me moque de qui? Pas une seule personne ne m’a demandé comment c’est dans le service oncologie pédiatrique, quelle personne saine d’esprit voudrait parler de ça? Mais j’ai capté votre attention, non?

Avant que vous ne vous enfuyiez, laissez-moi vous dire que ce n’est pas aussi horrible que vous pourriez l’imaginer. Vraiment. En ce qui me concerne, avant d’entrer dans ce monde, j’imaginais que tous les hôpitaux étaient un mélange de ‘MASH’ et ‘Au dessus d’un nid de coucou’. J’imaginais la misère et la folie, la douleur et la souffrance, des traumatisés, des médecins bipés courant dans les couloirs, et des gens qui criaient « intubez! » (comme dans ‘Scrubs’) et bien sûr, Dr House braqué sur moi tandis que je le supplie de ne pas me faire subir un traitement bizarre comme dernier espoir pour me sauver la vie.

Ce n’est pas comme ça du tout. En fait, tout le contraire. Ca me rappelle une histoire que j’ai lue au sujet du vol 1549 d’US Airlines, le fameux vol d’Airbus qui a réussi un amerrissage dans la rivière Hudson, en janvier 2009, sans faire de victimes. Dans un film, quand un avion est en situation d’urgence, il y a panique générale, les gens crient et pleurent et c’est le chaos complet. Donc, puisque la plupart d’entre nous n’ont pas vécu ce genre de drame (et j’espère qu’aucun d’entre vous ne le vivra, en tout cas de mon vivant), nous supposons que cela reflète la réalité. Mais la vérité est bien différente, comme décrit dans le récit du vol 1549.

Les gens ont entendu les détonations et ont vu les moteurs s’éteindre, et six minutes après le décollage, l’avion était dans la rivière. Personne n’a paniqué. L’équipage a fait son travail, étonnamment bien. Les passagers sont restés calmes, ont suivi les instructions, se sont entraidés et sont tranquillement sortis de l’avion, avant d’être secourus sur les ailes de l’avion par les ferries qui passaient.

L’illusion de la panique et la terreur n’est que ça, une illusion. Le service d’oncologie n’est pas un endroit terrifiant ou horrible (même si je pense bien avoir croisé la Nurse Ratchet une fois). Les gens rient, bavardent et vivent leurs vies. Oui, certains arrivent à la fin de leurs vies, mais nous sommes tous quelque part sur ce même chemin, n’est-ce pas?

Je gère mon anxiété avec l’écriture. Lorsque nous devons passer de longues journées à l’hôpital, souvent j’écris dans ma tête, en imaginant les histoires des personnes que je croise, puis, je les transcris sur papier une fois à la maison au calme. Donc, pour les prochains blogs, je vais résumer ces histoires pour en faire une seule. Pour protéger l’anonymat des autres enfants, parents, médecins et infirmières, j’ai bien sûr changé les noms ainsi que quelques détails.

Le temps passe différemment lorsque vous êtes à l’hôpital. Il y a des moments où le temps passe si vite que vous voudriez que tout s’arrête pour pouvoir reprendre votre souffle, mais, généralement, le temps passe à un rythme plus lent que le monde extérieur, et on peut se noyer dans l’ennui.

Aujourd’hui, nous sommes à l’hôpital dans le service des consultations externes en oncologie pédiatrique. Nous passons toute la journée ici lors de nos ‘journées chimio’. A cause de cela, on nous attribue un lit dans une pièce avec quatre autres lits et une petite salle de jeux. D’autres enfants et leurs parents vont et viennent toute la journée pour leur traitement. Je reste à côté du lit d’Elliot et je les regarde aller et venir, parfois espérant pouvoir discuter. Il s’avère que les chimios sont non seulement toxiques et nauséabondes, elles sont aussi très ennuyeuses. L’anxiété et l’épuisement, mélangés à de l’ennui, font un cocktail intéressant … Je dis intéressant avec un peu de sarcasme, bien sûr, il est intéressant de la même façon qu’il serait intéressant de mélanger de la vodka, de l’essence et du vieux lait pour faire un cocktail.

Une femme vient d’arriver avec sa fille, qui a l’air d’avoir autour des 3 ans. La fille a encore tous ses cheveux … Suis-je jalouse? Oui. Quand est-ce que je retrouverai mon gamin? Je sais qu’il est là, dans le lit à côté de ma chaise … Mais il a l’air différent, sans cheveux ni sourcils, et, même si c’est le moindre de nos soucis, c’est un rappel visuel.

La mère est malpolie. Elle ne suit tout simplement pas les règles et rituels de la politesse. Rien de très grave, mais elle ne joue pas le jeu de l’étiquette sociale. Elle parle patiemment et calmement pendant qu’ils installent sa fille dans son lit. L’infirmière dit qu’elle sera de retour plus tard, mais la maman ne répond pas. Elle lit un livre à sa fille, puis fait un puzzle. Je me lève et marche dans la chambre, en passant vers elle pour essayer d’établir un contact, mais elle regarde au loin, sans même un sourire. Malpolie.

 

Il ya deux autres mamans dans la salle et, bien sûr, mon mari, qui est assis sur une chaise à côté d’Elliot. Il fixe son téléphone portable en tapotant dessus de temps à autre. Il y a une petite fille, avec une robe rose à fleurs, dans le lit à côté d’Elliot . Elle a l’air très jeune, presque un bébé, jusqu’à ce qu’elle sourie, puis elle a l’air coquine, mais d’une façon mignonne. Ses cheveux ont presque disparu, il lui reste quelques mèches fines. Elle est très petite, mais a probablement environ trois ans. Sa mère voltige au-dessus de sa fille, remettant inlassablement la couverture autour de ses jambes à chaque fois que la jeune fille souriante se découvre, ce qui arrive à peu près toutes les deux secondes. Elle voit la mère malpolie qui lit un livre à sa fille, et part en choisir un à son tour dans la bibliothèque. Tout le monde lit un livre à son enfant, sauf moi. Puis, la famille du quatrième lit s’en va, et nous sommes tous un peu jaloux parce qu’on sait que, s’ils se dépêchent, ils pourront sans doute déjeuner à la maison. En fait, le café de l’hôpital fait de très bons sandwiches. Deux sortes: un au saumon et l’autre au rôti de bœuf. C’est tout. J’étais heureuse les vingt premières fois que j’en ai mangé pour le petit déjeuner, le déjeuner et le souper … mais Elliot a été diagnostiqué il y a 8 mois, donc je perds un peu la tête au niveau nutritionnel. Pour varier, j’ai mis une fois du miel et du Tabasco sur le sandwich au saumon.

Elliot est en train de regarder un film sur l’iPad. La raison pour laquelle je ne suis pas en train de lui lire un livre comme toutes les autres mamans, c’est que je suis fatiguée et anxieuse, et pas compétitive. Il lui reste encore quatre heures de chimio à faire, le sac de liquide rouge, accroché derrière lui, se vide tranquillement à travers le tube qui serpente autour du lit, et, sous sa chemise jusque dans son corps. Je veux juste rester là et l’accepter, sans jouer avec un puzzle ou lire un livre. C’est ironique de penser que nous sommes ici pour lui sauver sa vie et que je puisse l’ignorer pendant que ça se passe. Mais j’ai besoin de me planquer dans ma tête un moment. Donc, j’ai un cahier pour écrire mes pensées et mes observations.

La maman malpolie envoie maintenant des SMS. Sa fille est occupée avec le puzzle, ce qui lui donne un instant de liberté. Elle tapote rapidement, frappant le téléphone avec ses doigts en colère. Ses yeux passent rapidement de son téléphone à son enfant, presque maniaque. Puis elle reçoit un appel et parle brièvement, tout en marchant autour du lit. Nous faisons tous semblant d’être très occupés. Elle donne un bref rapport puis la formule sanguine, la durée du traitement et la prochaine étape. Quand elle raccroche, elle nous regarde pour voir si nous écoutions, mais nos yeux s’éparpillent sous la mitraillette de son regard.

Elle est malpolie. Il n’y a tout simplement aucun autre moyen de le décrire. Mais ce n’est pas l’impolitesse habituelle. C’est l’impolitesse du monde du cancer… C’est une attitude totalement différente, et personne dans cette pièce ne la critiquerait pour ça. Nous le constatons et nous la laissons tranquille.

Pourquoi est-elle cancer-malpolie? Parce qu’il y a quelques jours elle a découvert que sa petite fille avait la leucémie. Nous le savons tous. Nous l’avons entendue le dire au téléphone, mais nous savions déjà qu’elle était une nouvelle. Nous le savions quand elle est arrivée et n’a pas dit bonjour, parlait avec tant de douceur sirupeuse à sa fille, regardait paniquée l’infirmière qui sortait de la chambre, et refusait le contact visuel. Et, enfin, nous le savions de toute façon parce que son enfant a des cheveux.

De longs cheveux blonds.

Autre que la grossièreté de la débutante,  il n’y a rien qui distingue cette femme des autres. Elle marche et parle et envoie des SMS comme tout le monde. Mais, bien sûr, elle pousse des cris à l’intérieur. Elle n’a probablement pas dormi une nuit entière depuis le diagnostic. Elle ne le fera peut-être plus jamais. Elle a pénétré dans un monde pour lequel il n’y a pas de sortie. Même après le traitement, et, même s’il y a de fortes chances pour que le traitement fonctionne, elle ne quittera pas le monde du cancer. Elle va s’adapter et va devenir comme nous. Les mamans du cancer.

J’ai fini par lui parler. Elle est en fait très sympa. Juste effrayée au maximum. Tellement effrayée qu’elle n’est plus consciente de son comportement. Je sais que j’étais comme ça. Hey, peut-être que je le suis encore.

La petite souriante a le même cancer que la fille de la malpolie. Je ressens presque de la jalousie lorsqu’elles se parlent, parce qu’elles ont un point en commun. De la jalousie? Suis-je folle? Le traitement de la leucémie peut durer deux à trois ans! Elliot devrait avoir fini dans 2 mois, si tout se passe comme prévu, pour son cancer du rein. Et c’est surement un avantage d’avoir un cancer qui fait une bosse qui peut être coupée (avec un organe vital, bien sûr). La leucémie est partout, il n’y a rien à couper, rien à enlever. Donc, le nôtre est un meilleur cancer. Ok, Elliot a une énorme cicatrice sur son ventre et un rein en moins, mais c’est quand même mieux, non? Faisons-nous une compet’ cancer?

La mère de la petite souriante a l’air fatiguée. En la regardant discrètement, je constate qu’elle a des cernes sous les yeux. Ok, je la regarde ouvertement, mais elle est occupée à ramasser la couverture que la petite fille a fait tomber, une fois de plus. Je regarde mon mari, et je me rends compte qu’il a l’air assez fatigué lui aussi. Je l’analyse de près, pendant qu’il fixe son téléphone. Il n’a pas mal de rides autour des yeux aujourd’hui, mais ce n’est pas laid. C’est assez injuste que les hommes puissent avoir des belles rides. Étaient-elles toujours là? Je commence à m’inquiéter un peu pour lui, puis je me dis qu’il faut que j’arrête car ça ne fait qu’accroître mon inquiétude. Pfffff, il faut que j’arrête cette façon de penser, et vite.

Ouf, un petit nouveau arrive et prend le lit de celui qui est parti. Un nouveau centre d’intérêt. Certaines choses peuvent encore me rendre nerveuse, même si je ne suis plus une débutante. J’arrive de mieux en mieux à contrôler mes pensées, arrachant mon esprit à quelque chose qui fait peur et le forçant à penser à autre chose.

Le petit nouveau entre en scène et je vais vous laisser; je poursuivrai dans quelques jours. Il est tard, la maison est calme et je devrais dormir aussi. Alors à bientôt pour la suite des aventures du ‘Service-Chimio’, de l’ennui rempli d’action et de la tragédie comique !

 

6 réflexions au sujet de « Une journée dans le service chimio »

  1. C’est tellement vrai! Tu te poses la question de savoir si c’est la même organisation ou les mêmes réactions en France qu’en Suisse ou au Québec, et bien la réponse est …. OUI! Pour ma part, la seule chose qui diffère est le nombre d’enfants par chambre qui était de 2 dans notre hôpital de référence et une chambre seule d’isolation dans notre hôpital de secteur . Mais pour ce qui est des réactions, tu as totalement raison! …. On définit très rapidemment les nouveaux des nouveaux pour cause de rechute et des enfants en cours de traitement initial.
    Je te félicite, ton écriture est très agréable à lire et reflète parfaitement la réalité. Je gage que tes réflexions serviront d’autres mamans d’enfants malades qui pianoteront sur le net pour « en savoir plus » ou « partager » ou « lire des expériences de parents confrontés à cette maladie ».
    C’est avec grand plaisir que je continuerai de suivre ton blog
    Stéphanie, maman de Manech, diagnostiqué néphroblastome niveau III, risque intermédiaire en février 2011, puis sarcome à cellule claire après analyse de la tumeur à l’anapath en avril 2011

    • Bonjour Stéphanie, merci pour ton message! C’est intéressant de comparer les différences entres pays et hopitaux, mais intéressant de savoir que finalement c’est tres semblable…
      Tout de bon pour Manech et tout la famille!

    • Stephanie, seriez vous d’accord pour rentrer en contact avec moi. Je suis la maman dune petite fille et je vis la même chose que vous. Amities. Emilie

    • Stephanie, je vous remercie infiniment pour votre réponse. J’ai essayé d aller sur le lien mais le résultat est peu glorieux. Je ne parviens pas a voir si ma reponse saffiche ??? Aussi, je reviens sur ce blog en espérant de tout coeur que vous verrez celle ci. Voici mon mail : emiliefittante@neuf.fr
      J’espère a tres bientôt
      Emilie

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