Une des choses que l’on apprend lorsqu’on est en plein diagnostique-cancer (ou toute crise majeure, en fait), c’est l’importance de profiter du moment présent. Vous apprenez à valoriser le bonheur quotidien, et la santé, et vous vous attardez moins sur les «si» de l’avenir.
Alors, combien d’entre vous ont ressenti un léger agacement rien qu’en lisant ce dernier paragraphe? Vous SAVEZ qu’il faut vivre le présent et chérir chaque minute, mais combien d’entre nous sont effectivement capables de le faire?
Ce serait mon souhait le plus cher de vivre le présent. Mais je crains que mes enfants ne saccagent ma maison, si je le faisais. Nous serions rapidement affamés, si je choisissais d’embrasser le moment présent tout le temps. Et, bien que certaines personnes dans cette maison, (je ne citerai pas de noms), seraient ravies de pouvoir jeter la vaisselle, au lieu de la laver, le fait d’être obligés de manger les céréales et le lait directement sur le comptoir de la cuisine pourrait gâcher l’expérience. Et, franchement, je pense que, si je ne fais pas la lessive bientôt, elle pourrait prendre vie, se lever et quitter notre maison, dégoûtée.
Le problème avec ‘vivre le moment présent’, c’est que l’avenir nous attend juste là, tapi dans le coin, en espérant que vous ne sortirez pas les poubelles, afin que, tout à coup, quand l’avenir devient le ‘maintenant’, ce sera désagréable parce que le plaisir du vieux ‘maintenant’ fait partie du passé et le nouveau ‘maintenant’ pue.
Est-ce compréhensible?
Mes enfants sont quand même assez forts. Ils semblent assez confiants et pensent qu’il n’y a pas besoin de planifier quoi que ce soit parce que, de toute façon, comme par magie, les repas apparaissent sur la table, les vêtements sont propres, de nouvelles chaussures sont achetées à temps et tout objet cassé est réparé avant qu’il ne soit indispensable. C’est la magie de la jeunesse … Un autre nom pour cette magie est ‘maman’.
D’un côté, vu que j’ai eu mon premier lot d’enfants relativement jeune (ça sonne bien, « lot » d’enfants, comme si j’étais un four faisant de petits gâteaux), j’ai l’impression que ça fait très longtemps que je rafistole les ‘maintenants’ de tout le monde. Et parfois, les maintenants’ semblent se répéter. Suis-je prise dans une sorte de boucle temporelle cosmique? Est-ce que vivre dans le présent signifie que les choses se répètent encore et encore (et encore)?
L’autre jour, Elliot (entre parenthèses, il a quelques cheveux! Ok c’est juste un duvet couleur pèche, mais quand même!) a décidé que, puisqu’il allait être assis sur les toilettes pendant un certain temps (5 minutes au total, ce qui est un long ‘maintenant’ pour lui), il voulait prendre une petite voiture avec lui pour jouer. Ne me demandez pas comment il pensait jouer avec une voiture alors qu’il était assis sur les toilettes, c’est un débat que je préfère éviter. Dans tous les cas, l’inévitable s’est produit. Et dans l’espoir de sauver la situation, il a tiré la chasse. Ainsi, le ‘maintenant’ est devenu une inondation.
Et soudain, un flash de 15 ans auparavant (autre salle de bains, autres enfants, même résultat).
Retour en 1997. Je rentre dans la salle de bains et je trouve deux garçons, âgés de 3 et 6 ans, debout, à côté des toilettes, regardant dans ses profondeurs. L’eau dépasse déjà la moitié de la cuvette et continue à monter rapidement. Les deux coupables (mes fils, je l’avoue) regardent sans ciller l’eau qui atteint rapidement le bord.
‘Hey’, je crie, au moment où l’eau commence à déborder. ‘Hey’ n’était pas très original, mais je ne trouvais rien d’autre à dire sur le moment. Mes enfants devaient le penser aussi, car ils ont continué à m’ignorer, mais ont reculé pour éviter la cascade qui déversait des toilettes, et sont montés sur le rebord de la baignoire, se tenant l’un à l’autre pour garder l’équilibre. Ils me regardaient, avec la même fascination qu’ils avaient accordé à la cuvette des toilettes, attendant avec impatience mon prochain geste, vacillant sur leur perchoir.
‘Hey, que se passe-t-il ici?’ je demande en attrapant la ventouse et en jetant une vieille serviette parterre. Le ‘hey’ en plus était sensé leur faire de l’effet. Rien du tout. Les garçons continuent à regarder, leurs bouches grandes ouvertes, leurs regards faisant des allers-retours entre moi et les toilettes, comme les fans regardant un match de tennis.
Je me bats avec les toilettes pendant quelques minutes, et le tsunami disparait. Épuisée, je me retourne vers les coupables et je libère ma colère. Ils sont toujours perchés sur le rebord de la baignoire. Le plus jeune, Daniel, est accroché au pyjama de son frère aîné, pendant que Jesse, le plus âgé, s’accroche au rideau de douche. Les deux vacillent comme des funambules sur le point de perdre l’équilibre. Jesse parle d’abord: ‘Pourquoi les toilettes ont fait ça?’. Daniel ajoute: ‘ Oui Maman, pourquoi?’
Deux paires d’yeux me regardent en toute innocence, en attendant ma réponse.
Bon, chacun est innocent jusqu’à preuve du contraire, non? Je les sors de la salle de bains et les assoit sur le canapé. « Quelqu’un a- t-il mis quelque chose dans les toilettes? » je demande d’une voix calme, en cachant ma frustration. Tout à coup, un raisonnement fou traverse mon esprit: il est possible que les garçons aient été là, innocents, quand tout à coup, sans raison apparente (peut-être un tremblement de terre très localisé avec ma toilette à l’épicentre), l’eau a soudainement commencé à monter brusquement.
Les garçons se regardent puis me regardent. Deux fois. Puis Jesse, le responsable, le mature, le genre de garçon prêt à accepter les conséquences de ses actes, avoue: ‘Peut-être que Daniel a mis quelque chose?’.
‘Non!’ dément Daniel. ‘Juste un pouti pouti peu de papier!’.
‘Combien?’ je soupire.
‘En fait’ propose Jesse, ‘pas grand chose du tout. Par contre, c’était toujours attaché au reste du rouleur et, lorsqu’on a tiré la chasse, le rouleau s’est déroulé, déroulé, déroulé (ses yeux s’agrandissent à ce moment de l’histoire) et tout le papier du rouleau est parti dans les toilettes … Et puis le truc de l’eau a commencé’.
Je prends une grande respiration, en essayant de rassembler toute mon énergie. ‘Ecoutez’, j’explique patiemment, ‘si nous mettons trop de papier dans les toilettes, ou toute autre chose dans les toilettes, ça se bouche et l’eau ne peut plus s’écouler dans les tuyaux. Puis ça déborde, compris?’
‘Qu’est ce qui se passe?’ demande Daniel.
‘Les toilettes se bouchent et l’eau déborde’ je réponds, toujours patiente.
‘Oh.’ Daniel réfléchit. ‘Mais pourquoi?’
« Parce que vous mettez trop de papier toilette’.
‘Non! Juste un pouti pouti peu’.
‘Mais si le petit morceau est toujours attaché à plus de morceaux, c’est tout simplement trop’.
‘Oh. Pourquoi? ‘
‘Parce que les toilettes se bouchent.’ Dis-je fermement.
‘Pourquoi?’ des yeux innocents me regardent.
‘Parce que c’est comme ça que c’est fait’. Je tente de clore la discussion.
‘Et pourquoi c’est fait comme ça?’
‘Parce que toutes les toilettes sont faites de cette façon.’ Je commence à me sentir coincée.
‘Pourquoi?’
‘Parce que.’
‘Mais pourquoi?’
‘Tout simplement parce que’.
‘Mais …’
AAAArrRRRggghhh! Perte de contrôle et je sombre, prête à tout pour arrêter cette folie.
‘Daniel, voudrais-tu un cookie?’
‘Ok’.
Et quinze ans plus tard, je me prépare à avoir la même conversation sur pourquoi il ne faut pas mettre des objets dans les toilettes, avec à peu près le même résultat (par contre il a fallu un muffin cette fois, pas un cookie).
Alors, est-ce ça vivre le moment présent? Répéter les mêmes situations parce qu’on n’en tire aucune leçon?
Je sais que je suis censée profiter du présent, saisir l’instant et tout ce tralala. Et c’est sûr que le cancer m’a fait comprendre que notre temps est limité. Mais, malgré tout cela, je trouve génial de se projeter dans l’avenir. Aujourd’hui, nous partons pour Paris. J’ai fait des recherches pour trouver des hôtels et des sorties, et pour savoir à quel moment de la journée il y a le moins de queue pour monter sur la Tour Eiffel. Elliot insiste sur le fait que nous devons monter par les escaliers, surtout ne pas prendre l’ascenseur. Je ne me réjouis pas tellement de vivre ce ‘maintenant’. Mais le souvenir de notre ascension dépassera largement la douleur, tout comme le souvenir des petits visages de Daniel et Jesse, perchés sur le rebord de la baignoire. C’est tout ce qui me reste de ce malheureux incident.
Quelqu’un aurait-il des conseils sur comment ‘vivre le moment présent’
(Ecrit le 25 juillet 2012)
écrit le 25 juillet, posté le 8 septembre … Vous ne vivez pas le moment présent puisque que vous avez écrit et que vous n’avez pas posté … Vivre le moment présent prend tout son sens quand on vous annonce la rémission de notre enfant, mais je pense qu’après la maladie de nos enfants on ne vit pas le moment présent, on vit autrement quoi que le quotidien et la routine reviennent vite … à 1 an 1/2 de rémission pourquoi suis-je sur l’ordinateur alors que mes enfants jouent seuls derrière moi ? devrais-je tout arréter parce que ma fille à été malade ? devrais-je revenir sur l’éducation que j’ai donné à ma fille les 2 années avant qu’elle soit malade ? Le cancer est un truc qui est venu brouiller l’éducation de nos emfants, venu titiller nos nerfs dans l’intention de nous faire “péter les plombs”, venu remettre en cause (dans certaine famille) la relation de couple et la relation avec les autres, Cette saloperie de Cancer est venu foutre le bordel dans notre vie un peu comme une tempête, mais après une tempête ne recontruisons-nous pas des maisons, des bâtiments, des routes … si on savait que la tempête viendrait aurait-on contruit une vie en sachant qu’elle sera détruite ??? j’espère que je suis compréhensible et que vous devinez ce qui va suivre … La vie continue malgrés cette tempête, la vie continue malgrés la maladie, on oublie vite mais on n’oublie pas complètement … on ne vit pas complètement serein, on guette le ciel qui annoncerait une nouvelle tempête en espérant qu’elle passe à côté !!!
Milles bisous à Elliot et qu’il continue à faire des bêtises … hihihi